L'agitation parait n'avoir d'autre effet que de provoquer la formation des grains separes. Le poids specifique de l'argent est 10,4 et celui du plomb 11,35; le plomb grenu qui tombe au fond du creuset n'est jamais absolument pur, et le residu metallique liquide ne contient, au maximum, que 1/119 d'argent. Puisque la difference de densite due a la proportion tres inegale suivant laquelle les deux metaux sont melanges, est si excessivement faible, il est probable que celle qui existe entre le plomb liquide et le plomb grenu quoique encore chaud, intervient pour une grande part dans l'acte de la separation.

D'apres ces faits, si un des mineraux constitutifs d'une masse rocheuse volcanique liquefiee qui repose pendant un certain temps sans subir aucune agitation violente, s'agrege en cristaux ou en grains, ou s'il a ete arrache en cet etat a quelque roche plus ancienne, nous pouvons nous attendre a ce que ces cristaux ou ces grains flotteront a des niveaux plus ou moins eleves suivant leur poids specifique relatif. Or, nous avons la preuve evidente que des cristaux ont ete empates dans un grand nombre de laves pendant que la pate ou la base demeurait fluide. Il me suffira de rappeler comme exemples les diverses grandes coulees pseudo-porphyritiques des iles Galapagos, et les coulees trachytiques de diverses regions, dans lesquelles nous trouvons des cristaux de feldspath ployes et brises par le mouvement de la masse semi-liquide environnante. Les laves sont composees, en majeure partie, de trois varietes de feldspath, dont la densite oscille entre 2,4 et 2,74; de hornblende et d'augite, allant de 3 a 3,4, d'olivine variant de 3,3 a 3,4 et enfin d'oxydes de fer avec un poids specifique de 4,8 a 5,2. Il en resulte que les cristaux de feldspath nageant dans une lave liquide mais peu vesiculaire, tendront a s'elever vers la surface, et que les cristaux ou les grains des autres mineraux tendront a descendre. Nous ne devons pas nous attendre cependant a constater une separation parfaite au sein de substances aussi visqueuses. Le trachyte, qui consiste principalement en feldspath avec un peu de hornblende et d'oxyde de fer, a un poids specifique d'environ 2,45[5], tandis que le basalte, compose en majeure partie d'augite et de feldspath, auquel s'ajoute souvent une forte proportion de fer et d'olivine, atteint une densite de 3,0. Consequemment nous remarquons que dans les endroits ou des coulees basaltiques et trachytiques ont ete emises d'un meme cratere, les coulees de trachyte ont generalement fait eruption les premieres, parce que, comme nous devons le supposer, la lave fondue appartenant a cette serie s'etait accumulee a la partie superieure du foyer volcanique. Cette succession a ete observee par Beudant, Scrope et d'autres auteurs, et j'en ai donne trois exemples dans cet ouvrage. Pourtant, comme les dernieres eruptions d'un grand nombre de volcans se sont fait jour au travers des parties inferieures de ces montagnes, par suite de l'accroissement de la hauteur et du poids de la colonne interne de roche fondue, nous voyons pourquoi dans la plupart des cas les flancs inferieurs des masses trachytiques centrales sont seuls enveloppes de coulees basaltiques. Peut-etre la separation des elements d'une masse lavique s'opere-t-elle quelquefois dans l'interieur d'une montagne volcanique, dont la hauteur et les autres dimensions sont suffisamment grandes, au lieu de se faire dans le foyer souterrain. Dans ce cas, des coulees de trachyte provenant du sommet de ce volcan, et des coulees de basalte emanees de sa base peuvent etre ejaculees presque simultanement ou a des intervalles tres rapproches; c'est ce qui parait s'etre produit a Tenerife[6]. Il me suffira de faire remarquer en outre que, naturellement, la separation des deux series doit souvent etre entravee par suite de bouleversements violents, meme quand les conditions lui sont favorables, et que, de meme, leur ordre d'eruption ordinaire doit etre interverti. En bien des cas, peut-etre, les laves basaltiques ont seules atteint la surface, a cause du haut degre de fluidite de la plupart d'entre elles.

Charles Darwin

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