Nous avons vu dans l'exemple decrit par Von Buch que des cristaux de feldspath descendent au sein de l'obsidienne vers la partie inferieure de la masse, parce que leur poids specifique est plus eleve, comme on le sait, que celui de cette roche; nous pouvons donc nous attendre a constater dans toute region trachytique ou l'obsidienne a coule a l'etat de lave, qu'elle a ete emise par les orifices superieurs, ou occupant la plus grande altitude. D'apres Von Buch, ce fait se confirme d'une maniere remarquable, tant aux iles Lipari qu'au pic de Teneriffe. En ce dernier point l'obsidienne ne s'est jamais ecoulee par des orifices situes a moins de 9.200 pieds de hauteur. L'obsidienne parait avoir ete ejaculee aussi par les pics les plus eleves de la Cordillere peruvienne. Je me borne a faire observer, en outre, que le poids specifique du quartz varie de 2,6 a 2,8, et que par consequent, lorsque ce mineral existe dans un foyer volcanique, il ne doit pas tendre a descendre avec la masse fondamentale basaltique; ceci explique peut-etre la presence frequente et l'abondance du quartz au sein des laves trachytiques, deja signalees a plusieurs reprises dans cet ouvrage.

Peut-etre objectera-t-on a la theorie que je viens d'exposer le fait que les roches plutoniques ne sont pas divisees en deux series nettement distinctes et de pesanteur specifique differente, quoiqu'elles aient passe par l'etat liquide comme les roches volcaniques. Pour repondre a cette objection, il convient de faire remarquer d'abord qu'aucune preuve ne demontre que les atomes d'un quelconque des mineraux constitutifs des roches plutoniques se soient agreges, tandis que les autres mineraux restaient fluides, ce qui est une condition presque indispensable de leur separation, comme nous nous sommes efforces de le prouver; au contraire, les cristaux se sont moules generalement les uns sur les autres[7].

En second lieu, le calme absolu qui a preside, selon toute probabilite, au refroidissement des masses plutoniques ensevelies a de grandes profondeurs, devait etre tres probablement fort defavorable a la separation de leurs mineraux constitutifs, car, si la force attractive qui rapproche les molecules des divers mineraux pendant le refroidissement progressif de la masse est suffisante pour les maintenir reunies, le frottement entre ces cristaux a demi formes ou ces globules paleux doit empecher les plus lourds d'entre eux de descendre au fond du bain et les plus legers de monter. D'autre part, les petites perturbations qui doivent probablement se produire dans la plupart des foyers volcaniques, et qui ne suffiraient pas, comme nous l'avons vu, a empecher la separation de grains de plomb dans un melange de plomb et d'argent en fusion ou de cristaux de feldspath dans une coulee de lave, pourraient pourtant amener la rupture et une nouvelle fusion des globules les moins bien formes, permettant aux cristaux les mieux formes, et qui pour cette raison ne se brisent pas, de descendre ou de monter suivant leur pesanteur specifique.

Quoiqu'on ne constate pas dans les roches plutoniques l'existence des deux types distincts correspondant aux series trachytique et basaltique, j'ai lieu de croire qu'il s'est produit souvent une separation plus ou moins prononcee de leurs parties constitutives. Je soupconne qu'il doit en etre ainsi, parce que j'ai observe la grande frequence avec laquelle des dikes de greenstone et de basalte coupent les formations etendues de granite et de roches metamorphiques qui s'y rattachent. Je n'ai jamais etudie un district d'une region granitique etendue sans y decouvrir des dikes; je puis citer comme exemples les nombreux dikes de trapp que l'on rencontre dans plusieurs provinces du Bresil, du Chili, de l'Australie, et au cap de Bonne-Esperance; de meme, il existe un grand nombre de dikes dans les vastes contrees granitiques de l'Inde, du nord de l'Europe et d'autres pays. D'ou le greenstone et le basalte qui forment ces dikes sont-ils venus? Devons-nous supposer, avec quelques anciens geologues, qu'une zone de trapp s'etend uniformement sous les roches granitiques qui, suivant l'etat actuel de nos connaissances, constituent la base de l'ecorce du globe? N'est-il pas plus vraisemblable de croire que ces dikes sont dus a des fissures sillonnant des roches granitiques et metamorphiques imparfaitement refroidies, dont les elements les plus fusibles consistant surtout en hornblende ont ete en quelque sorte sollicites a monter dans ces fissures? A Bahia, au Bresil, j'ai vu dans une contree de gneiss et de greenstone primitif, de nombreux dikes constitues par une roche a augite de couleur foncee (car un cristal que j'ai detache appartenait incontestablement a ce mineral), ou par une roche amphibolique formee, comme plusieurs preuves le demontraient clairement, avant la solidification de la masse environnante, ou ayant subi plus tard un ramollissement complet simultanement avec cette masse[8].

Charles Darwin

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