_Separation des mineraux constituants de la lave suivant leur poids specifique_.--Un des cotes de Fresh-water Bay, a l'ile James, est forme des debris d'un grand cratere, dont nous avons parle dans le chapitre precedent, et dont l'interieur a ete comble par une coulee de basalte presentant une puissance de 200 pieds environ. Ce basalte, de couleur grise, contient une grande quantite de cristaux d'albite vitreuse, qui deviennent beaucoup plus nombreux encore dans sa partie inferieure et scoriacee. C'est le contraire qu'on se serait attendu a voir, car, si a l'origine les cristaux avaient ete repandus uniformement dans toute la masse, l'expansion plus considerable subie par cette partie scoriacee inferieure aurait du faire paraitre plus petit le nombre des cristaux qui s'y trouvent. Von Buch[1] a decrit une coulee d'obsidienne du Pic de Tenerife, dans laquelle les cristaux de feldspath deviennent de plus en plus nombreux au fur et a mesure que la profondeur ou l'epaisseur augmente, de sorte que, pres de la surface inferieure de la coulee, la lave ressemble meme a une roche primitive. Von Buch constate, en outre, que M. Dree a trouve par ses experiences sur la fusion de la lave que les cristaux de feldspath tendaient toujours a descendre au fond du creuset. Je crois qu'il n'est pas douteux que dans ces exemples les cristaux descendent sollicites par leur poids[2]. Le poids specifique du feldspath varie[3] de 2,4 a 2,58, tandis que celui de l'obsidienne parait etre ordinairement 2,3 a 2,4; et il serait probablement moindre si la roche etait a l'etat liquide, ce qui faciliterait la descente des cristaux de feldspath. A l'ile James, les cristaux d'albite, quoique incontestablement moins lourds que le basalte gris aux endroits ou il est compact, peuvent facilement avoir un poids specifique superieur a celui de la masse scoriacee, qui est formee de lave fondue et de bulles de gaz surchauffes.

La chute des cristaux au sein d'une substance visqueuse comme celle des roches fondues, et qui est incontestablement demontree par les experiences de M. Dree, merite un examen plus attentif, car ce phenomene eclaire le probleme de la separation des laves trachytiques et basaltiques. M.P. Scrope a etudie cette question, mais il parait n'avoir eu connaissance d'aucun fait positif, comme ceux que je viens de signaler, et il a perdu de vue un facteur qui me semble indispensable dans l'etude du phenomene, c'est-a-dire l'existence a l'etat de globules ou de cristaux tantot du mineral le moins dense et tantot du mineral le plus dense. Il est difficilement admissible que la faible difference de densite des particules separees infiniment petites de feldspath, d'augite ou de quelque autre mineral, suffise a vaincre le frottement produit par leur mouvement au sein d'une substance dont la fluidite est imparfaite, telle qu'une roche en fusion; mais, si les molecules d'un quelconque de ces mineraux se sont reunies en cristaux ou en granules pendant que les autres conservaient l'etat liquide, on comprend facilement que la descente ou le flottage des mineraux auront ete notablement facilites par suite de l'attenuation du frottement. D'un autre cote, si tous les mineraux ont pris l'etat grenu au meme instant, il est a peu pres impossible qu'une separation quelconque ait pu s'operer, a cause de la resistance qu'ils devaient s'offrir mutuellement. On a fait dernierement une decouverte pratique importante qui montre le role que joue l'etat grenu d'un element contenu dans une masse fluide en favorisant la separation de cette substance. Quand on agite d'une maniere ininterrompue, pendant son refroidissement, du plomb fondu contenant une faible proportion d'argent, il devient grenu, et ces grains ou cristaux imparfaits de plomb presque pur descendent au fond du creuset en abandonnant un residu de metal fondu beaucoup plus riche en argent; tandis que si on laisse reposer le melange en le maintenant a l'etat liquide pendant un certain temps, les deux metaux ne montrent aucune tendance a se separer[4].

Charles Darwin

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